samedi 11 avril 2009

Même PARIS-MATCH en parle !!! Vindieu !!!! XXX

Alors que le bras de fer entre le gouvernement et le monde universitaire ne semble pas près de fléchir, Franck Collard, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Paris X-Nanterre, fait le point pour Parismatch.com sur ce mouvement de protestation sans précédent.

Interview Marie Desnos - Parismatch.com

Franck Collard revient notamment sur la genèse du conflit et nous confie l'alignement vers le bas que constitue la réforme prônée par le gouvernement.

ParisMatch.com: Nicolas Sarkozy a répété cette semaine « au monde universitaire que leur donner l'autonomie c'est leur faire confiance ». Et qu’il ne reviendrait « jamais » sur ce choix. Que vous inspire cette déclaration ?
Franck Collard: Elle m’inspire de la perplexité. Ne pas revenir sur un choix de réforme qui a été voté en 2007 alors qu’on s’est aperçu depuis qu’elle aurait des conséquences terribles pour l’université et les enseignants est franchement regrettable. Cette obstination nous emmène dans une voie qui est très mauvaise.

Qu’est ce que cette réforme change concrètement pour vous, vos élèves, leur cursus ?
La LRU donne aux universités une autonomie supplémentaire mais surtout le pouvoir aux équipes dirigeantes d’orienter de manière beaucoup plus forte la formation des étudiants. Parallèlement, les enveloppes budgétaires qui y sont allouées ne sont pas à la hauteur des besoins, ce qui va contraindre les universités à rechercher des partenariats avec les entreprises, et les laboratoires à rechercher à tout prix des brevets pour obtenir de l’argent. Nous ne voulons pas de ces universités-entreprises.

En quoi consiste la « Mastérisation » de la formation des enseignants ?
Sur le papier, il s’agit d’un projet positif, puisque elle vise à élever le niveau de recrutement à Bac + 5, ce qui serait a priori le gage d'un enseignement de meilleure qualité. Mais en théorie seulement. Car en réalité, cinq ans de formation sont déjà nécessaires pour devenir enseignant : une licence (Bac + 3), une année de préparation à un concours d'enseignement, et une année de formation professionnelle rémunérée, en alternance entre l'IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) et les stages.

CUMULER QUATRE
ANNÉES D’ÉTUDE EN DEUX

Quel est le problème de cette nouvelle organisation?
C’est son exécution concrète. Dorénavant, les étudiants devront préparer à la fois leur concours (épreuves écrites en janvier, puis orales en juin), et à la fois leur Master (pour lequel ils doivent notamment rédiger un mémoire d’une cinquantaine de pages la première année, et d’une centaine la seconde). Ce à quoi il faut ajouter les stages dans les collèges et lycées. Cela revient donc à cumuler quatre années d’études en deux, au détriment de la qualité du contenu de la formation –le Master étant forcément allégé. Il faut également ajouter une raison sociale dû à l’allongement de la durée des études. Aujourd’hui, durant sa cinquième année, l'apprenti enseignant est fonctionnaire-stagiaire, et est donc rémunéré. En plus, le titulaire des concours et d’un Master 2 aura des classes sur au moins 2/3 de son temps, contre 1/3 aujourd’hui. Jusqu’à maintenant, il profitait de son « temps libre » pour faire des stages complémentaires et non négligeables. Le tout sans aucune concertation des gens de terrain.

En quoi consiste la modification du décret, datant de 1984, sur le statut des enseignants-chercheurs?
D’après ce que j’ai lu, notamment de l’analyse d’Olivier Baud, professeur de droit à Paris II –et qui en tant que juriste est mieux placé que moi pour répondre- la modification est un leurre, qui fait des retouches marginales. Elle donne notamment au président d’université et à son conseil d’administration la haute main pour dire si un chercheur fait assez de résultat ou non. On nous répond que ce système est appliqué dans les pays anglo-saxons –qui ont incontestablement de l’avance sur nous- mais aux Etats-Unis par exemple, les présidents sont puissants au niveau de la gestion des moyens et non pour évaluer les chercheurs, qui le sont par leurs pairs, nettement plus qualifiés pour le faire.

LE REFUS DE L’ÉVALUATION?
UNE TROMPERIE GROSSIÈRE

Pensez-vous qu'actuellement les chercheurs sont correctement évalués ?
Il y a certes des progrès à faire sur les critères à prendre en compte. Notamment dans l’évaluation de leur production : quand quelqu’un dirige une fac par exemple, il ne peut pas publier autant qu’un autre.
Mais on essaye de faire croire que les enseignants-chercheurs refusent d’être évalués. C’est une tromperie grossière. Nous le sommes déjà par le Conseil national des universités (CNU) à chaque promotion, à chaque article publié… ce que l’on refuse, c’est l’évaluation mécanique. Celle-ci se fera en effet en fonction du nombre de publications parues dans des revues classées de A à D -un classement qui nous échappe complètement et se fait notamment en fonction de la langue de publication, l’anglais étant privilégié. Un autre critère sera en outre le nombre de fois ou le chercheur sera cité par ses pairs (en bien ou en mal). Nous récusons cette évaluation biaisée.

Qu’est-ce que la modulation de service des enseignants-chercheurs et qu’en pensez-vous?
Jusqu’à présent, un enseignant-chercheur devait travailler 1607 heures par an, également réparties entre la recherche et l’enseignement -seules les heures d’enseignement devant les étudiants (TD et cours magistraux) étant quantifiées sur une base de 192 heures. Avec la réforme, un prétendu « mauvais chercheur » fera plus d’enseignement (et déchargera ainsi un chercheur efficace et productif d'une partie de son temps d'enseignement) ce qui est complètement paradoxal puisque ces deux activités sont complémentaires. De plus, cela va créer une concurrence malsaine entre les professeurs et entre les établissements. Des professeurs car ils ne travailleront pas le même nombre d’heures, d’autant que dans les faits les enseignants passent aussi énormément de temps à préparer leurs cours, corriger des copies, surveiller des examens, etc. Et que jusqu’à présent, ils assuraient souvent des heures supplémentaires rémunérées : avec la modulation, ils aussi perdent ce bénéfice financier. Entre les établissements cars ils se disputeront les brevets, dans un secteur ou l’économie marchande n’a pas lieu d’être. La modulation permettra aussi aux universités de ne pas recruter, car en arrière plan, il ne faut pas oublier que le gouvernement veut dégraisser, trouve qu’il y a trop de fonctionnaires. Viser la productivité, calculer le rendement est injurieux pour les professions intellectuelles. Et quand les médiévistes inventeront quelque chose, les poules auront des dents !

Que répondez-vous à ceux qui défendent le côté « européen » de la réforme?
L’Europe est un autel sur lequel on a sacrifié tellement de choses. En Italie, les enseignants s’arrachent les cheveux. En Angleterre, nos collègues nous disent tenez bon.
C’est un prétexte d’alignement vers le bas. Nous défendons tellement l’exception française dans d’autres domaines, j’espère que l’on ne supprimera pas des matières sous prétexte qu’ils l’ont fait ailleurs.

Expliquez-vous?
Il reviendra à l’équipe dirigeante de répartir les enveloppes budgétaires ; or elle va évidemment privilégier les secteurs rentables au détriment des autres.

LA RADICALISATION EST LE
FRUIT DE SIX MOIS D’AUTISME

Et que répondez-vous à ceux qui défendent l’autonomie à proprement parler des universités ?
Pour que l’autonomie fonctionne, il faut qu’elle en ait les moyens. Que les pouvoirs publics donnent assez d’argent et ne laissent pas au bord de la route des matières et valeurs sous prétexte qu’elles ne sont pas rentables. Une autonomie viable serait également une autonomie qui n’entre pas en vigueur au niveau de la gestion du personnel. La gestion par l’Etat est la meilleure garantie d’autonomie qui soit.

Que pensez-vous des concessions déjà accordées par le gouvernement comme l’arrêt des suppressions de postes à l’université en 2010 et 2011, ou la réécriture du décret sur le statut des enseignants-chercheurs début mars ?
Ce sont des concessions marginales. Les suppressions de postes auront lieu, elles ont lieu même en 2009. Ça n’est pas une grâce accordée par le gouvernement mais un moyen de faire retomber la pression. Quant à la réécriture du décret, elle ne change rien. Si ce n’est qu’il doit, en principe, être accepté par l’enseignant-chercheur. En pratique, encore faut-il que l’enseignant connaisse ses droit, cette clause, et puis il ne faut pas oublier que les pressions sont nombreuses et le taux de syndicalisation de plus en plus bas.

Etes-vous inquiets de la radicalisation du conflit ? (les présidents des Universités de Orléans et Rennes ont été séquestrés, ndlr)
Bien sûr. Les gens sont pour la paix sociale. Pour aider leurs étudiants à se former.
Je suis également inquiet de la validation automatique envisagée, à laquelle, contrairement à certains de mes collègues, je suis complètement opposé, car je trouve qu’elle va à l’exact opposé des valeurs pour lesquelles on se bat depuis plusieurs mois.
En même temps, ce que je vais dire relève un peu de la rhétorique syndicale (et je ne suis pas syndiqué) mais cette radicalisation est le fruit de six mois d’autisme.
Jusqu’à présent, les étudiants de Nanterre ont fait preuve d’une remarquable responsabilité. Moi j’ai pu faire cours pratiquement tout le temps depuis le début du semestre, et j’en suis ravi car cela prouve qu’ils ont compris que bloquer l’accès aux amphis ne résoudra pas les problèmes. Si tous les cours avaient pu être maintenus, la question de la validation de cette année ne se poserait pas.

DÉFENDRE L’HONNEUR DE LA PROFESSION

Que préconiseriez-vous pour la tenue des examens et la validité de cette année scolaire?
La validation du semestre adaptée. Université par université, matière par matière. Avec la diffusion bien sûr des cours en ligne. Et si jamais il n’y avait absolument aucun enseignement -mais c’est le cas extrême- il faudrait modifier l’examen, poser des questions sur des articles ou lectures par exemple, pour combler le manque de temps qu’ils ont eu pour apprendre.

Quelles vont être les conséquences sur les partenariats entre universités françaises et étrangères?
Les conséquences sont d’ores et déjà désastreuses. A l’université Rennes II notamment, qui a vu un certain nombre de partenariat avec les universités à l’étranger remis en cause.

Aviez-vous déjà vu un tel élan de contestation solidaire au sein des professeurs d’universités?
Non. Beaucoup disent que c’est un mouvement sans précédent. Un tel mouvement d’exaspération morale résulte de la manière dont sont considérés les enseignants. Nous voulons défendre l’honneur de la profession. Même en 1968, l’alliance entre enseignants et étudiants était moins forte. Et cette effervescence collective nous encourage d’autant plus à tenir, dans l’espoir d’un changement.

Vous y croyez?
Pas vraiment

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